Aversion au sein, Un article de 2025
- Elise Armoiry

- 26 nov.
- 5 min de lecture

Cet article étudie la fréquence de la réaction d’aversion au sein chez des mères en Turquie et les principaux facteurs associés à ce phénomène.
Définition de l'aversion au sein et contexte
L’aversion au sein est définie comme une compulsion à retirer le bébé du sein en lien avec des sensations physiques désagréables, accompagnées de sentiments envahissants d’irritation, d’agressivité ou de dégoût pendant l’allaitement.
Elle se distingue du réflexe dysphorique d’éjection du lait (D‑MER), qui survient surtout juste avant le réflexe d’éjection et se limite aux premières minutes de tétée, alors que l’aversion peut se produire tout au long de la séance ou à différents moments du processus d’allaitement.
L’auteure rappelle que la littérature scientifique sur l’aversion est encore limitée et s’est construite en partie à partir de témoignages de groupes de soutien en ligne.
Objectif et méthodologie
L’objectif principal est d’estimer la fréquence de l’aversion et d’identifier les facteurs qui y sont associés chez des mères ayant une expérience d’allaitement en Turquie. Il s’agit d’une étude transversale via un questionnaire en ligne diffusé sur Instagram et via des professionnels de santé (sages-femmes, infirmières) entre novembre 2023 et janvier 2024.
Les participantes étaient des mères de 18 ans ou plus, allaitant actuellement ou ayant allaité dans les trois dernières années (afin de limiter le biais de mémoire). Sur 1 081 réponses, 1 046 femmes ont été incluses
Résultats principaux: fréquence et facteurs associés
Parmi les 1 046 participantes, 9,8% (103 mères) déclarent avoir vécu une aversion. Les réactions les plus fréquentes sont: pensée de sevrer brusquement le bébé, retrait immédiat du bébé du sein faute de pouvoir continuer, et sentiment d’aversion ressenti comme incontrôlable.
Plusieurs variables sont associées à une fréquence plus élevée :
Statut professionnel: aversion plus fréquente chez les mères travaillant à l’extérieur du foyer.
Soutien conjugal: l’absence de soutien du conjoint en post-partum est significativement liée à un taux plus élevé d’aversion
Santé mentale: les mères diagnostiquées avec une dépression post-partum présentent plus souvent une aversion
Difficultés d’allaitement: les problèmes tels que douleur des mamelons, mastite, difficulté de prise du sein ou production lactée jugée insuffisante sont plus fréquents chez les mères avec aversion
Circonstances d’apparition de l’aversion
Les participantes identifient plusieurs situations typiques au début de l’aversion
Sentiment de fatigue extrême ou d’épuisement, surtout dans les 3 premiers mois post-partum, période marquée par un manque de sommeil et une forte charge physique et émotionnelle.
Allaitement d’un bambin avec parfois un récit de lassitude, d’absence de plaisir ou de gêne à continuer l’allaitement d’un enfant plus grand.
Apparition de douleurs mammaires décrites comme des douleurs de type piqûre, démangeaisons ou réactions douloureuses au simple contact, parfois accompagnées de nausées, ce qui laisse penser à une dimension affective et non uniquement nociceptive.
Co‑allaitement (tandem): en particulier lors de la mise au sein simultanée des deux enfants, plusieurs mères décrivent une aversion ciblée surtout sur l’enfant plus âgé
Retour des règles: certaines femmes situent le début de l’aversion au moment de la reprise des menstruations, ou rapportent une aggravation de l’aversion pendant cette période.
L’article souligne aussi des cas où l’aversion est apparue:
· En tout début de post-partum, mais de façon transitoire.
· Pendant la grossesse tout en allaitant un enfant plus grand, bien que cette situation soit moins fréquente en Turquie pour des raisons culturelles, de nombreuses femmes arrêtant d’allaiter lors d’une nouvelle grossesse.
· Après des événements traumatiques (fortes disputes conjugales, conflits familiaux, tremblement de terre de 2023), suggérant un lien entre trauma, activation des systèmes de stress et perturbations hormonales (oxytocine, prolactine).
Distinction avec le D-MER
Les résultats confirment que l’aversion se différencie du D‑MER par:
· Le moment: l’aversion peut se produire avant, pendant tout le temps de tétée ou après, tandis que le D‑MER est limité à la phase du réflexe d’éjection
· La qualité des émotions: les femmes décrivant une aversion ne reprennent pas les termes de « terreur », « désespoir » classiquement associés au D‑MER, mais plutôt dégoût, irritation, tension ou agressivité.
Soutien reçu et stratégies d’adaptations
Une partie des mères ayant une aversion a dû interrompre temporairement l’allaitement, et près d’un tiers a cessé d’allaiter complètement pour cette raison. Pourtant, la majorité ne perçoit pas l’aversion comme un « problème » nécessitant de l’aide ou ne reçoit aucun soutien spécifique, et lorsque du soutien est obtenu, il est rarement jugé réellement aidant.
Les stratégies les plus rapportées sont :
Se distraire (regarder son téléphone, regarder la télévision, faire autre chose mentalement pendant la tétée).
Raccourcir les durées de tétée ou réduire la fréquence, notamment en journée, voire supprimer les tétées nocturnes.
Pratiquer des techniques simples de régulation (respiration profonde, auto‑encouragement, patience face aux morsures, pincements, etc.)
L’auteure évoque le débat sur l’effet potentiel de ces distractions sur la relation mère‑enfant: des travaux cités dans l’article ne montrent pas de lien systématiquement négatif entre utilisation du smartphone pendant l’allaitement et qualité des interactions, mais appellent à une vigilance clinique.
Interprétation et implications cliniques
Les résultats suggèrent que l’aversion est fortement influencée par des facteurs psychologiques et contextuels, plus que par des aspects purement physiologiques. Les facteurs mis en avant sont:
La fatigue et l’épuisement maternels, liés à la privation de sommeil, au cumul de rôles et à la charge mentale.
La dépression post-partum et, plus largement, la vulnérabilité psychique dans les premiers mois après la naissance.
Le manque de soutien du conjoint et les difficultés d’allaitement non prises en charge, qui augmentent la charge émotionnelle de l’allaitement.
L’article recommande d’aborder l’allaitement comme une expérience globale, intégrant les dimensions psychologiques, sociales et culturelles, et non uniquement la physiologie de la lactation. Pour les sages-femmes, infirmières et autres professionnels, cela implique:
D’inclure systématiquement des questions sur les sensations et émotions pendant l’allaitement.
De reconnaître l’aversion comme un motif légitime de souffrance, même sans problème physique visible.
De proposer des stratégies personnalisées, incluant soutien psychologique, gestion de la fatigue, interventions sur le partage des tâches et accompagnement au sevrage si tel est le choix de la mère.
En conclusion, l’article met en avant l’aversion au sein comme une expérience réelle et fréquente pour une proportion non négligeable de mères, influencée par la fatigue, la douleur, le contexte relationnel et les facteurs psychologiques, et souligne la nécessité d’un regard clinique plus large et empathique sur l’allaitement.
Autres ressources intéressantes sur ce thème
Ouvrage de Zainab Yate , chercheuse anglaise et conseillère en allaitement : « When breastfeeding sucks ». Dans cet ouvrage, elle explique que malgré cette aversion, les mères ont envie de continuer l'allaitement , et elle envisage également le contexte social et la dissonnance envers l'allaitement qui contribue selon elle à ce phénomène d'aversion: on encourage à allaiter tout en dénigrant les femmes allaitant dans l'espace public par exemple.
Mizrak Sahin B. Factors Associated with the Breastfeeding Aversion Response. Breastfeed Med. 2025 Feb;20(2):118-125. doi: 10.1089/bfm.2024.0178. Epub 2025 Jan 21. PMID: 39836009.
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